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Stockage et archives
« J’ai des boites, genre vraiment beaucoup de boîtes à la maison. Dedans je met des photos et pleins d'éléments visuels qui me permettent de me rappeler. Même des cartes postales de vacances, des petits mots… » Capucine de Beaumont - Extrait d’interview (intégralité en annexe).
Après avoir photographié et capté, il y a une phase d’archive qui s’instaure. Certains moyens sont les mêmes ou presque, d’autres diffèrent en fonction de la génération ou des intérêts de chacun.

Le grand gagnant, gravé dans l'inconscient commun est l’album photo. Il désigne un recueil, classeur, cahier de photographies. Présent dans de nombreux foyers, il existe sous différentes formes. Il semble apparaître au XIXe siècle créé par Eugène Disdéri, photographe français ayant déposé le brevet pour la « carte de visite ». Avant ; les photographies étaient à des formats pas du tout adaptés pour être classées et bien trop précieuses pour être enfermées.
« Chez mes grands-parents il y avait une armoire pleine à craquer d’albums. Les saisons, les récoltes, les photos d’enfants, les vacances.. tout, classé, ordonné et trié. On peut voir les époques à travers nos albums, les photos jaunies, les portraits défigurés et les photos loupées. » Guillaume Balligand - Extrait d’interview (intégralité en annexe).
Les albums ont évolué, certains sont annotés, datés. Les types d’albums aussi ont changé. Dans les années 80 les albums étaient principalement constitués de pages cartonnées sur lesquelles étaient directement déposées des photographies. Chaque page de l’album était fixée des feuilles plastiques qui retenaient les photographies à l’aide de l’énergie statique. Ensuite arrivèrent les albums constitués de cinq ou six pochettes plastiques pour la plupart, permettant de ranger des photographies au format final 10x15cm. Il existe aussi des albums aux formats spécifiques, comme les albums destinés aux photographies prises avec un appareil polaroïd carré ou rectangulaire, des albums à pages avec bordures permettant de venir encastrer directement la photographie et bien d’autres encore.

Ces formats ont permis, par leurs évolutions, de réinventer l’objet et de permettre de nouveaux types de photographies. Aussi ils s’adaptent aux formats de l’image et ne sont qu’un réceptacle pour ne pas perdre ou dissocier les images les unes des autres. L’idée est aussi de permettre de le stocker facilement. Le format livre A4 est le plus utilisé de par sa capacité à être rangé facilement dans une bibliothèque. Les formats plus petits sont plus mobiles et faciles à transporter. Dans tous les cas, les formats sont pensés pour faciliter le classement et le transport de photographies.

Un nouveau type d’album photo émerge par ailleurs à l’ère de l’internet : le livre photo. Il s’agit d’un album photo fait directement en ligne, et où les photographies sont imprimées en même temps que l’ouvrage. L’idée est la même, finalement, que dans l’album photo dit classique. Il suffit de se rendre sur un site proposant la création de livre photo, de commencer par choisir un format puis une couverture et une qualité de papier ainsi que son rendu. Ensuite des mises en page type sont proposées afin de permettre de sélectionner des photographies et les apposer. L’intérêt du livre photo imprimé est de pouvoir récupérer directement les photographies depuis le téléphone. Les photographes et les tirages photos ont perdu de leur grandeur depuis l’arrivée du numérique et du partage sur médium numériques et donc le livre photo permet de pouvoir garder une trace physique de souvenirs numériques.

Aussi, il existe un autre système de stockage qui peut être celui de la boîte souvenir, ou boîte photo. Celui-ci permet en effet de venir déposer de multiples souvenirs au même endroit sans forcément venir effectuer de tris quels qu'ils soient.

Au niveau Européen, une expérience est mise en place depuis l’année 2005 mettant en lien les personnes âgées. Arlette Goldberg, ethnologue et sociologue travaillant dans le milieu gériatrique, explique ce projet dans son article de revue nommé : réaliser une boîte souvenirs . Plusieurs pays se sont mis d’accord pour créer ces boîtes souvenirs. À ce jour il existe même quinze boîtes françaises. Le fonctionnement de ces boîtes est tel que la personne la possédant la remplit d’objets et photos ayant participés à sa vie et la présente ensuite afin de permettre aux générations nouvelles d’avoir un regard sur ces époques. Tout d’abord la question du format est très intéressante, il permet de glisser énormément de supports différents. De plus, c'est un format qui voyage facilement. Le symbole est aussi très intéressant ; l’idée de réunir différentes mémoires et de les préserver est particulièrement intéressante.

Les images et vidéos peuvent aussi être stockées sur différents supports comme les cassettes, DVD, CD, disques durs ou bien d’autres. Ces ports permettent une sauvegarde supplémentaire des fichiers et une contemplation via médias numériques.

Tout dépend alors du médium employé et de la méthode. Les vidéos ne seront pas stockées sur les mêmes supports que les photos. Aussi les photos seront stockées sur différents supports en fonction de si elles sont numériques, argentiques, daguerréotype ou autre. Certains objets disposent de leurs supports de rangement propres.

L’exemple le plus cinglant ici serait la photographie au photomaton déposée dans le portefeuille de chacun. C’est une place précise qui est même prévue dans beaucoup de portefeuilles.

Pour revenir sur le daguerreotype, étant sur une plaque et souvent ornementé, il est directement sous la forme d'un support.

Concernant maintenant les photographies numériques, elles sont non tangibles et donc doivent être stockées soit en ligne, soit hors ligne dans des supports de stockage de Data.

Dans un genre nouveau, on peut retrouver le film Minority Report et ses memory cards. Le personnage principal du film, interprété par Tom Cruise, revoit des souvenir de son enfant et sa femme à l’aide d’une plaque en verre annotée et classée dans un boitier. Celle-ci lui permet par la suite de voir des images en hologrammes. L’intérêt est ici de constater qu’il est envisageable de créer des liens entre les moyens de sauvegarde et l’image vidéo, mais aussi de mettre en corrélation photographie et vidéo.

Ici est mis en avant l’idée que les différents objets créés pour vivre le souvenir permettent à la fois une conservation des plus optimales et adaptées, en modifiant les formats, et soutenant les images et en les préservant du temps et de la perte. On constate aussi un fait intéressant, ces objets permettent de stocker le souvenir de manière à le revivre intelligemment avec les albums qui par exemple offrent une nouvelle lecture du souvenir et/ou simplifiant la lecture. On retrouve aussi d’autres types de supports qui permettent d’emporter le souvenir, de l’avoir proche de soi et de le visualiser à l’infini comme par exemple le portefeuille. Dans tous ces supports, une idée commune, protéger et regarder.
Différentes pages représentant des albums de famille.
L’intérêt présenté est de pouvoir observer les manières de mettre en page et de conserver des photographies de famille au sein d’albums.


 1_ TheBoxSF. Boutique d’antiquaire depuis 1850 basée à San Francisco spécialisée dans les objets imprimés. @pinterest 2_ W.Verhoeven Fotoboek. Pages d’albums de famille scannés et postés sur pinterest. @pinterest 3_ Photographies d’albums de mariage de la famille Balligand retrouvées dans des cartons, chaque page représente un couple de la famille et ses proches. Jean Traversaz, 87 ans. Exemple de boite souvenir mise en place lors de l’expérience. @expression-Venissieux Photographies au photomaton, petit format. Souvent, les photomatons permettent une bande de quatre petites photographies au format 5x20cm bien pratiques une fois détachées les unes des autres pour les avoir et les collectionner dans des supports mobiles. @Leshachineurs
Photographies de portefeuilles contenant des photos souvenirs d’enfants et de portraits au photomaton. Elles permettent de garder prêt de soi des souvenirs conservés et donc de pouvoir les voir et les contempler lorsque cela est voulu. Ici se pose la question du support mais aussi celle de format. @SpiritSurfeur @Lapresse Image provenant du film Minority Report de Steven Spielberg.
Projet personnel - Cahier de famille (2021) Expérimentation personnelle ; au cours d'un projet de seconde année de DNMADE, playlist graphique sur le thème de l'album de famille. À partir d’images construites, déconstruites et reconstruites, réinterprétation en couture et expériences textiles de l’album de famille. Les liens sont tissés, les scènes reconstituées et les relations réinterprétées au présent à l’aide de photographies passées. L'édition est faite sur support textile afin de permettre de découper et retracer des liens à l'aide de fil.
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Montrer et afficher
« Aussi je fais des tirages photos que j'accroche aux murs, ça me permet d'avoir les souvenirs devant les yeux. »
Capucine de Beaumont - Extrait d’interview (intégralité en annexe).

« Chez mes parents on a une entrée avec des cadres partout, dans chaque cadre il y a des photos de nous, de nos proches. Je crois que l’objectif c’est d’avoir un portrait par personne qu’il soit seul ou non pour pouvoir visualiser nos proches tous les jours. »
Guillaume Balligand - Extrait d’interview.
En plus de stocker et d’archiver de nombreuses scènes de vie, chacun possède des objets mis à la lumière du monde pour être vus et regardés fréquemment. Ces souvenirs sont choisis et désignés de par la symbolique qu’ils permettent. C’est à ce moment-là qu'est désigné le punctum cité par R. Barthes. Les photographies choisies ont une symbolique ; en général, et dans la majorité des interviews réalisées une idée réapparaît : la volonté d’afficher ses proches.
« Je recherche les photos les plus belles de ma pellicule et ma volonté c’est quand même d’afficher tous mes potes. Je veux avoir des souvenirs de chacun de mes amis pour les voir et les revoir malgré le temps et la distance. En plus du coup ces photos représentent des moments qui me sont chers et dans lesquels les souvenirs sont chaleureux et agréables. »
Capucine de Beaumont - Extrait d’interview (intégralité en annexe).
Aujourd’hui, sur internet se trouvent même des tutos pour afficher des photos avec des formes précises (faire un cœur en polaroïd par exemple), ou encore des manières d’assembler des cadres pour que la famille puisse créer un coin photo à l’intérieur du domicile.

Il est aussi possible de retrouver la tradition de l’autel. Très utilisés dans la religion boudiste et shintoïste au Japon ils sont appelés butsudan et sont un autel avec une photographie du défunt présent dans une des pièces de la maison. C’est une réplique très répandue en Asie mais aussi dans certaines maisons européennes. Le culte des morts est très important et lors de celui-ci sont affichés les portraits des ancêtres. En Amérique Latine ce culte à lieu durant une certaine période mais les photographies restent elles aussi affichées éternellement à un endroit prévu pour elles. L’objectif présent dans ce propos est de démontrer une autre manière de conserver la photographie.

Certains artistes ont repris cette volonté de marquer le souvenir. Par exemple Thomas Mailaender, artiste multimédia, travaille des archives photographiques projetées sur le corps par différents moyens. Il expliquera qu’il imagime ce projet nommé illustrated people comme « un roman de science-fiction évoquant un groupe de genre mystérieusement touchés par une maladie de peau qui trahirait en image leurs souvenirs passés ». Ce postulat est très fort est vient mettre en avant l’idée d’un souvenir presque forcé à porter et forcé sur soi sans question de consentement.

Continuant sur les manières de projeter le souvenir sur le corps, une technique moins éphémère est toujours possible et utilisée : le tatouage. Certains artistes tatoueurs en ont même fait leur principale activité comme Good Morning Town qui, en plus de reproduire une image, vient créer des petits éléments graphiques pour permettre de créer un souvenir dans un souvenir déjà présent.

L’intérêt du tatouage reste son aspect non éphémère mais aussi son format. Il peut se glisser partout, dans des placements plus ou moins privés et permettre de ne pas laisser de traces visibles. Il semble bon d’ajouter que lors du tatouage, la perception du souvenir se transforme. Le tatouage prend place et camoufle aux yeux du regardeur le souvenir en tant que tel. On voit le tatouage avant de voir le souvenir.

Ces différentes pratiques permettent de mettre en avant l’image et de modifier la perception de celle-ci. En effet, la mise en place de photographies, le tatouage et bien d’autres sont à la fois des moyens de mettre en avant l’image et le souvenir, mais modifient aussi la perception de celui-ci et redéfinissent le souvenir. Cela ressemble un peu aux matriochkas, poupées russes en bois qui s’emboîtent les unes dans les autres. Avec le tatouage par exemple, le regardeur observe d’abord le tatouage comme tel, puis devine le visuel. Il est souvent même nécessaire pour le tatoué d’expliquer le souvenir pour qu’il soit reconnu. Le souvenir prend alors en lui-même la seconde place.
Exemple de propositions de murs photographiques retrouvables sur le web. @Archzines Photographies d’un autel japonais appelé Butsudan. Il est orné d’objets et de photographies et portraits des défunts. @Nippon Travail de Thomas Mailaender.
a_ Archives photographiques directement imprimées sur le derme avec une lampe UV médicale. L’expérience met en scène une maladie de peau venant trahir les images du passé. L’intérêt est l’affichage d’un instant, un article ou une donnée sur le corps de la personne de manière éphémère afin d’être montré.
b_ Photo Pleasure Palace. Projet de galerie photo en tout genre, foire et installations. Dans un immense hangar, expérimentations en tout genre autour de la photographie et de la galerie photo. Ici, atelier de tatouages éphémères. Photographies de tatouages réalisés par Good Morning Town. L’intérêt est la création d’un souvenir par la réutilisation d’une souvenir déjà imprimé, puis retranscrit en un instant et retravaillé afin de redéfinir l’instant. De plus, il affirme une volonté de montrer le dit souvenir.
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Durée de vie des supports
L’objet photographique et vidéo est un support fragile, tangible et éphémère. À l’ère du numérique il nous semble impensable de s’imaginer que les données puissent disparaître mais, grand nombre de foyers et individus, ont déjà souffert d’une perte de données. Par ailleurs, il semblerait intéressant de permettre un moyen de conservation du souvenir, par un support nouveau qui peut ne pas être visuel pour pallier la perte de données trop systématique dans le foyer.

Les photos ont une durée de vie. Les vidéos aussi.

Une pellicule argentique possède un cycle de vie, c'est-à-dire une période de maturité et une période de dégradation. Le film standard à une durée de vie qui est de 25 à 50 ans. Les photographies numériques quant à elles, une fois tirées, ont une stabilité d’au moins cent ans, sous réserve qu’elles soient imprimées sur papier professionnel et conservées convenablement. Les impressions fine-art et jet d’encre peuvent survivre 100 ans, quand les impressions directes à plat n’en durent que 25. La durée de vie d’un CD quant à elle est d’environ 100 pour un CD-R, plus fragile qu’un CD professionnel. Les plus anciens polaroïd quant à eux avaient une durée de vie de 25 à 30 ans, alors qu’aujourd’hui ils peuvent durer de 50 à 100 ans. Les VHS et cassettes à bandes magnétiques ont une durée de vie de 10 à 30 ans.

Plus largement la photographie argentique connaît un problème de désintégration avec le temps mais aussi un second problème de moisissure et champignons dû à sa fragilité. Concernant les données numériques, une étude révèle que 20% des disques durs tombent en panne au bout de 4 ans, les clés USB elles aussi. Il est arrivé dans beaucoup de foyers des années 2000 de subir un crash de disque dur. Seuls les disques DVD-R peuvent durer plusieurs décennies (5). Les CD quant à eux sont aussi très fragiles, ils ont un risque de rayure très élevé. Les cassettes vidéos peuvent elles aussi être facilement détruites.

Les clouds quant à eux n’offrent pas une valeur sûre, en effet, la plupart ferment après quelques générations et ont une durée de vie d’environ 20 ans, en plus de cela il y a le risque qu’ils changent de politique commerciale, fassent faillite, soient rachetés mais aussi risquent des incendies...

Il est conseillé d’effectuer un stockage en trois temps mais aussi de faire un tirage des fichiers précieux pour éviter de les perdre. Serait-il bon de créer un moyen de sauvegarde prédéfinie de certains éléments jugés importants mais sauvegardant aussi les éléments secondaires qui permettrait de revenir sur l’image malgré les années. Un tri de photographies forcé dans la galerie du téléphone pour offrir un tirage de 10 photographies mais sauvegardant la galerie sur une plateforme secondaire

En plus de cela, les supports ont évolué très rapidement, les diapositives originelles ont pu être numérisées mais sont aujourd’hui obsolètes dans leurs formats d’origine. Certains foyers ont dû scanner de nombreuses diapositives d’une seule traite et les numériser, jetant ensuite les diapositives et ne laissant plus alors que des numérisations loupées à la place. Les cassettes, VHS et bandes magnétiques sont elles aussi devenues obsolètes et ont dû être transférées sur CD et DVD. Au début du XXIe siècle de nombreuses entreprises arrêtent la production de films ou appareils argentiques, comme Fujifilm en 2015. Les laboratoires et photographes se font de plus en plus rares et les méthodes de développement sont complexes. Les câbles, prises, secteurs ont été modifiés. Le matériel pour lire certains types de support est cher et n’est plus fabriqué. Les ports USB n’existent même plus sur certains ordinateurs.

Le monde évolue et change mais laisse aussi derrière lui une multitude de souvenirs qui deviennent illisibles et ne sont pas transposables. Cette notion met en lumière une sorte d’effondrement du souvenir qu’il pourrait être intéressant de travailler au sein d’un projet post-mémoire par le biais du design graphique pour contrer l'obsolescence du souvenir.
5.Revue Le Monde “Vos photos numériques risquent un jour de disparaître… comment s’assurer que les futures générations pourront les voir ?” le 17 novembre 2021.

Photographies de pellicules détériorées.

a_ La forte concentration d'acides due au nitrate de cellulose a décomposé le plastique. @Canada.ca b_ Film en restauration conservé par le CNC. @CNC