PART 1/3
Scénographies et temporalités du regardeur
Chez les Balligand on aime regarder des photographies ensemble. Pour se faire, il existe de nombreux albums photo des uns et des autres.
Commençons par là, il s'agit presque d'une image collective gravée dans le subconscient de tout à chacun, l'incroyable soirée diapo que nous retrouvons dans des film et des séries, dont nous avons entendu parlé et dont nous voyons les images. Instant typique presque caricatural et gravé dans l’inconscient d’énormément de générations : la famille se rassemble le soir ou l'après midi du dimanche, après un repas ensemble, pop-corn ou non à la main, et visionne dans le salon, chacun sur son fauteuil mais tous ensemble dans l'effervescence, sur l'écran déployé pour l'occasion, ses plus beaux clichés de vacances. Concernant la quantité, beaucoup de familles expriment que souvent les mêmes images reviennent en boucle. C'est une soirée que nous appellerons rituel (6). Rituel dans le sens de la coutume immuable mais aussi en un sens du côté religieux de la chose de par la scénographie rigoureuse et presque sainte, ainsi que le symbolisme qu’on lui apporte. Cette soirée, sur le plan matériel, est, il faut le préciser, forcée par le format petit et carré qui entraîne à être regardée de cette manière.
Aujourd’hui moins utilisée, la diapositive reste pionnière dans sa capacité à rassembler autour de la lecture de souvenirs communs.
Chez les Balligand les soirées diapo ont fait leur temps. Dans les années 2000 le grand-père achète un magnifique caméscope avec disque dur intégré et part faire le tour du monde. Asie, Amérique du Sud, îles… il vagabonde. À ses retours de voyage, tradition du rite perpétuée, mais simplement modifiée par le type de moyen utilisé, toute la famille s'assoit dans le salon et se fait conter les récits de vacances de papy. Situation parfois ennuyante confient les parents et enfants Balligand par ailleurs en raison de l’aspect très personnel de ses souvenirs qui ne sont vécus que par le grand-père.
À l'ère du numérique il est courant de regarder ses souvenirs et de les partager tout comme dans les années 60. L'idée reste la même, seul le moyen change. Il existe un plus grand nombre de photographies et de vidéos. Comme dit précédemment, certains chiffres résonnent. Au total par exemple, 85 milliards de photographies ont été prises rien qu’en l’an 2000, ce qui signifie 2.500 photographies prises chaque seconde dans le monde. Il ne faut que deux secondes pour faire autant de photos que le nombre fait durant tout le XIXe siècle. Les moyens sont plus abordables et plus accessibles qu’auparavant, mais aussi plus modernes et offrant de plus grandes capacités et options. Tout de même, l'idée reste et la volonté est la même que 5 ans auparavant. L’idée globale reste celle de partager : un instant, une émotion, des souvenirs.
Encore plus grand, l’artiste Refik Anadol, en 2018, compose avec 45 téraoctets de données de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles, classant les données par attributs afin de créer des nouvelles connexions entre eux et leur créer une mémoire collective. Cela permet une projection collective de la mémoire du philharmonique sur les façades de celui-ci. On passe avec l’utilisation de data (7) et du numérique à une expérience immersive de la mémoire sur des supports nouveaux et à l’aide de moyens récents.
Le souvenir est alors en grande partie trié et les supports choisis sont affichés ; mis en avant, sur un mur, dans des cadres, sur des buffets… Les personnes interviewées en arrivent toutes à l'idée que seul, nous ne regardons pas forcément nos souvenirs, mais que c'est le fait de se remémorer un souvenir qui va parfois nous amener à regarder une vidéo de l'instant ou une image. Les seuls souvenirs que nous regardons vraiment sont ceux qui sont affichés à certains endroits de la maison ; posés là pour justement, les voir et les contempler régulièrement. Parfois intervient aussi la notion du recueillement. Le grand-père Balligand lui, n'a pas du tout la même manière d'aborder la visualisation de photographies et de vidéos. Il vit seul et parfois le soir il aime regarder "ses souvenirs de jeunesse".
La possibilité d’accéder individuellement aux supports a par ailleurs été démultipliée par l’accumulation de moyens de communication et le progrès numérique. En 1997, à la maternité en France, un papa bricole son téléphone Motorola et envoie le premier MMS (8). Il partage une photographie de sa petite fille à peine née à environ 200 personnes. Ce sera un événement marqueur d’une nouvelle manière de créer un souvenir commun et une nouvelle temporalité entre l’envoyeur et le regardeur. S'ensuit une évolution fulgurante des moyens de partage de médias. Le partage devient alors plus individuel, la proximité entre les individus est stimulée par les réseaux, les messages et le partage en ligne.
Il est alors finalement possible de noter une ascension fulgurante en matière de médias et en matière de visualisation. La photographie et la vidéo font aujourd’hui partie de notre univers commun à tous. Toute personne a déjà pris, vu ou contemplé une photographie quelle qu’elle soit. Certaines habitudes et manières de regarder sont restées les mêmes, certaines autres ont muté. Pour mettre en avant ce propos, nous pouvons parler des avancées en matière d’IA qui aujourd’hui montrent du contenu passé de l’utilisateur sans que celui-ci ne cherche à le voir.
Les deux petits-fils expliquent même « Lorsqu'on allait chez nos grands-parents paternels, il y avait toujours le placard à albums de famille. C'était un truc super. On les sortait, on se regardait petits, mamie arrivait et nous contait notre enfance. C'était un rendez-vous habituel et incontournable. »
Cette approche-ci nous permet déjà de déduire qu'il existe des rites et rendez-vous pour contempler les souvenirs communs, différents selon les climats familiaux et les particularités de chacun, mais présentant des similitudes mécaniques.
« Mon père aime mettre sur CD des trucs de caméscope, du coup y a deux ans à Noël on avait tout regardé sur les vidéos prises par mon père dans les années 2004-2005. Il y avait beaucoup de vidéos de moi, mon frère et ma soeur enfant. C’est vraiment quelque chose que tu partage, pouvoir en parler et te dire « Ah tu te rappelles de ça » c’est vraiment trop bien ».
Marie Chambon - Extrait d’interview (intégralité en annexe).
C'est un moment précieux que la contemplation du souvenir ; commun ou non. Dans la famille il est très fréquent de côtoyer ce type d'instant et ce depuis des générations, comme un lien permettant de souder les individus et de créer un marqueur d'appartenance.
Ce même lien a un point de départ significatif : la création des diapositives avec Kodak, qui en fera sa pub dès les années 50.
En effet, auparavant, les formats et les manières de photographier permettaient soit d'exposer directement la photographie, même de la garder proche de soi (daguerréotype), ou alors d'être tirés et contemplés au sein d'albums. Mais avec la diapositive les choses changent, la manière de contempler diffère.
Commençons par là, il s'agit presque d'une image collective gravée dans le subconscient de tout à chacun, l'incroyable soirée diapo que nous retrouvons dans des film et des séries, dont nous avons entendu parlé et dont nous voyons les images. Instant typique presque caricatural et gravé dans l’inconscient d’énormément de générations : la famille se rassemble le soir ou l'après midi du dimanche, après un repas ensemble, pop-corn ou non à la main, et visionne dans le salon, chacun sur son fauteuil mais tous ensemble dans l'effervescence, sur l'écran déployé pour l'occasion, ses plus beaux clichés de vacances. Concernant la quantité, beaucoup de familles expriment que souvent les mêmes images reviennent en boucle. C'est une soirée que nous appellerons rituel (6). Rituel dans le sens de la coutume immuable mais aussi en un sens du côté religieux de la chose de par la scénographie rigoureuse et presque sainte, ainsi que le symbolisme qu’on lui apporte. Cette soirée, sur le plan matériel, est, il faut le préciser, forcée par le format petit et carré qui entraîne à être regardée de cette manière.
Aujourd’hui moins utilisée, la diapositive reste pionnière dans sa capacité à rassembler autour de la lecture de souvenirs communs.
Chez les Balligand les soirées diapo ont fait leur temps. Dans les années 2000 le grand-père achète un magnifique caméscope avec disque dur intégré et part faire le tour du monde. Asie, Amérique du Sud, îles… il vagabonde. À ses retours de voyage, tradition du rite perpétuée, mais simplement modifiée par le type de moyen utilisé, toute la famille s'assoit dans le salon et se fait conter les récits de vacances de papy. Situation parfois ennuyante confient les parents et enfants Balligand par ailleurs en raison de l’aspect très personnel de ses souvenirs qui ne sont vécus que par le grand-père.
À l'ère du numérique il est courant de regarder ses souvenirs et de les partager tout comme dans les années 60. L'idée reste la même, seul le moyen change. Il existe un plus grand nombre de photographies et de vidéos. Comme dit précédemment, certains chiffres résonnent. Au total par exemple, 85 milliards de photographies ont été prises rien qu’en l’an 2000, ce qui signifie 2.500 photographies prises chaque seconde dans le monde. Il ne faut que deux secondes pour faire autant de photos que le nombre fait durant tout le XIXe siècle. Les moyens sont plus abordables et plus accessibles qu’auparavant, mais aussi plus modernes et offrant de plus grandes capacités et options. Tout de même, l'idée reste et la volonté est la même que 5 ans auparavant. L’idée globale reste celle de partager : un instant, une émotion, des souvenirs.
Encore plus grand, l’artiste Refik Anadol, en 2018, compose avec 45 téraoctets de données de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles, classant les données par attributs afin de créer des nouvelles connexions entre eux et leur créer une mémoire collective. Cela permet une projection collective de la mémoire du philharmonique sur les façades de celui-ci. On passe avec l’utilisation de data (7) et du numérique à une expérience immersive de la mémoire sur des supports nouveaux et à l’aide de moyens récents.
« Tous les mois, je vais chez le photographe et je fais tirer une vingtaine de photos. Je rentre, et je les accroche au mur de ma chambre. Elles sont bien là. Tous les jours je passe devant, je les vois et je les regarde. Quand je suis triste je m'allonge sur mon lit et elles me rappellent des souvenirs des gens que j'aime, me redonne du courage et me font me sentir entourée. »
Capucine de Beaumont - Extrait d’interview (intégralité en annexe).
Il faut rendre compte de la manière d'observer une photographie ou une vidéo, ainsi que les sentiments que celle-ci va procurer, différents en fonction de l'intention. Lorsque regardées ensemble, en famille ou entre amis, il y a un souhait de partager et de montrer. Seul, le processus n'est plus le même. Il y a une notion de nostalgie et de joie lors de la re-visualisation de l'instant qui intervient. Le moment entre alors dans une phase des plus intimes mais aussi des moins ritualisés.
Le souvenir est alors en grande partie trié et les supports choisis sont affichés ; mis en avant, sur un mur, dans des cadres, sur des buffets… Les personnes interviewées en arrivent toutes à l'idée que seul, nous ne regardons pas forcément nos souvenirs, mais que c'est le fait de se remémorer un souvenir qui va parfois nous amener à regarder une vidéo de l'instant ou une image. Les seuls souvenirs que nous regardons vraiment sont ceux qui sont affichés à certains endroits de la maison ; posés là pour justement, les voir et les contempler régulièrement. Parfois intervient aussi la notion du recueillement. Le grand-père Balligand lui, n'a pas du tout la même manière d'aborder la visualisation de photographies et de vidéos. Il vit seul et parfois le soir il aime regarder "ses souvenirs de jeunesse".
« C'est différent quand on est jeune, on a la vie devant nous, pas
besoin de broyer du noir avec les photos du passé. Moi c'est pas pareil, j'ai plein d'amis qui sont plus là, je ne les vois plus que comme ça.»
Grand-père famille Balligand - Extrait de conversation sur le souvenir.
Pour lui, regarder c’est se rappeler, redonner vie aux ombres du passé et ressentir des émotions pourtant vieilles et dépassées. Regarder c’est retrouver le visage de proches, amis et famille qui aujourd’hui ne sont possiblement plus là pour créer de nouveaux souvenirs communs.
La possibilité d’accéder individuellement aux supports a par ailleurs été démultipliée par l’accumulation de moyens de communication et le progrès numérique. En 1997, à la maternité en France, un papa bricole son téléphone Motorola et envoie le premier MMS (8). Il partage une photographie de sa petite fille à peine née à environ 200 personnes. Ce sera un événement marqueur d’une nouvelle manière de créer un souvenir commun et une nouvelle temporalité entre l’envoyeur et le regardeur. S'ensuit une évolution fulgurante des moyens de partage de médias. Le partage devient alors plus individuel, la proximité entre les individus est stimulée par les réseaux, les messages et le partage en ligne.
Il est alors finalement possible de noter une ascension fulgurante en matière de médias et en matière de visualisation. La photographie et la vidéo font aujourd’hui partie de notre univers commun à tous. Toute personne a déjà pris, vu ou contemplé une photographie quelle qu’elle soit. Certaines habitudes et manières de regarder sont restées les mêmes, certaines autres ont muté. Pour mettre en avant ce propos, nous pouvons parler des avancées en matière d’IA qui aujourd’hui montrent du contenu passé de l’utilisateur sans que celui-ci ne cherche à le voir.
5. Tirage photographique positif sur support transparent destiné à la projection.
Kodak, publicité sur la diapositive en famille et le film de famille. 6. Qui constitue un rite ; qui a rapport aux rites.
7. Données et informations circulant sur un réseau. Jackson Patterson mélange des photographies de paysages des États Unis avec des archives de famille américaines pour créer de nouveaux souvenirs (fictifs) de ces lieux. Travail de l'artiste Refik Anadol, WDCH Dreams. Collaboration pour célébrer l'anniversaire du philharmonique de Los Angeles. Durant ce projet, l'artiste et son studio ont récupérés approximativement 45teraoctets de Data. Films vidéos des recherches et travaux de Refik Anadol.
Kodak, publicité sur la diapositive en famille et le film de famille. 6. Qui constitue un rite ; qui a rapport aux rites.
7. Données et informations circulant sur un réseau. Jackson Patterson mélange des photographies de paysages des États Unis avec des archives de famille américaines pour créer de nouveaux souvenirs (fictifs) de ces lieux. Travail de l'artiste Refik Anadol, WDCH Dreams. Collaboration pour célébrer l'anniversaire du philharmonique de Los Angeles. Durant ce projet, l'artiste et son studio ont récupérés approximativement 45teraoctets de Data. Films vidéos des recherches et travaux de Refik Anadol.
The anonymous Project.
Il s’agit d’un projet lancé par Lee Shulman. Ce projet permet à tout à chacun d’envoyer des diapositives de famille trouvées on ne sait où. Elles sont ensuite répertoriées et classées. L’intérêt est la visualisation et la réutilisation de diapositives de familles ainsi que l’archivage. Ce projet est visible sur Instagram sous @theanonymousproject, permettant alors une nouvelle visualisation du souvenir et de la diapositive.
PART 2/3
Mutation du paradigme
Poursuivant cette évolution du paradigme et des mœurs, il est évident d’appuyer une partie sur l’ère numérique, ère de partage et de transmission à accessibilité accélérée, dématérialisée et individualisée.
Aujourd'hui beaucoup de souvenirs passent par le biais des applications et réseaux sociaux, partageant alors le souvenir pour le regarder plutôt que le gardant dans la sphère privée. Des réseaux permettent des flux de photographies et vidéos considérables, l’information circule en image et l’image dématérialisée devient normalité voir banalité pour beaucoup d’utilisateurs.
Le réseau social Snapchat ainsi que son rival Instagram marquent un virage dans la manière de regarder l’image/vidéo. Le fonctionnement est nouveau, lors de sa sortie, et révèle une nouvelle manière de regarder l’image, parfois le souvenir frôle la notion du reportage et les données ne sont pas toujours considérables comme souvenir. En effet Snapchat comporte une grande particularité ; les photographies et vidéos sont à usage unique. 10 secondes pour apprécier la photographie partagée. Une fois les 10 secondes passées, la photographie disparaît et il n’y a pas de possibilité de la regarder à nouveau (à noter qu’une mise à jour est à lieu par la suite permettant de rejouer une image pendant 10 secondes supplémentaires une fois par jour). Les médias deviennent alors éphémères, quand pendant des années l’objectif a été de les conserver le plus longtemps possible. On assiste alors à une transformation du médium : alors que l’on recherchait jusqu’ici à graver, la photographie et la vidéo, depuis Snapchat suivi d’Instagram, on commence à entrevoir une nouvelle consommation de l’image.
Avec des réseaux comme Snapchat, le souvenir est mis entre parenthèses. L’idée n’est plus de vouloir rappeler mais plutôt de montrer et même de se montrer. On perd la notion du précieux et du difficile à obtenir pour aller vers une facilité à être connecté et à créer du contenu sans cesse, pour tout et rien.
En plus de pouvoir noter ce changement d’orientation face à l’image et sa désacralisation en un sens, un nouveau moyen de regarder le souvenir se met en place. Il est en effet possible pour l’utilisateur de ne plus avoir à aller chercher le souvenir, l’application s’en charge et se charge aussi de la conservation de celui-ci, l’offrant ainsi à l’utilisateur de son plein libre-arbitre.
Dernier en date, le groupe Meta (Facebook, Instagram…) a lancé une nouvelle fonction nommée year in review. L’objectif pour l’application est de compiler les souvenirs accumulés par les utilisateurs sur les plateformes en proposant ensuite une rétrospective mois par mois de l’année passée. Les rétrospectives sont découpées en sections (lieux, amis, autres…) prenant la forme d’une carte interactive pour chacun, et partageable à son entourage ou sur le réseau lui-même- à tout le monde.
Mais ce nouveau type de dispositifs à souvenirs visuels comporte tout de même des failles. En effet, Facebook et d’autres ont dû mettre en place des algorithmes pour éviter à certains utilisateurs de recevoir des photographies de proches décédés ou d'événements offensants. Aussi intervient le problème de la vie privée et de la protection des données.
Aujourd'hui beaucoup de souvenirs passent par le biais des applications et réseaux sociaux, partageant alors le souvenir pour le regarder plutôt que le gardant dans la sphère privée. Des réseaux permettent des flux de photographies et vidéos considérables, l’information circule en image et l’image dématérialisée devient normalité voir banalité pour beaucoup d’utilisateurs.
Le réseau social Snapchat ainsi que son rival Instagram marquent un virage dans la manière de regarder l’image/vidéo. Le fonctionnement est nouveau, lors de sa sortie, et révèle une nouvelle manière de regarder l’image, parfois le souvenir frôle la notion du reportage et les données ne sont pas toujours considérables comme souvenir. En effet Snapchat comporte une grande particularité ; les photographies et vidéos sont à usage unique. 10 secondes pour apprécier la photographie partagée. Une fois les 10 secondes passées, la photographie disparaît et il n’y a pas de possibilité de la regarder à nouveau (à noter qu’une mise à jour est à lieu par la suite permettant de rejouer une image pendant 10 secondes supplémentaires une fois par jour). Les médias deviennent alors éphémères, quand pendant des années l’objectif a été de les conserver le plus longtemps possible. On assiste alors à une transformation du médium : alors que l’on recherchait jusqu’ici à graver, la photographie et la vidéo, depuis Snapchat suivi d’Instagram, on commence à entrevoir une nouvelle consommation de l’image.
Avec des réseaux comme Snapchat, le souvenir est mis entre parenthèses. L’idée n’est plus de vouloir rappeler mais plutôt de montrer et même de se montrer. On perd la notion du précieux et du difficile à obtenir pour aller vers une facilité à être connecté et à créer du contenu sans cesse, pour tout et rien.
En plus de pouvoir noter ce changement d’orientation face à l’image et sa désacralisation en un sens, un nouveau moyen de regarder le souvenir se met en place. Il est en effet possible pour l’utilisateur de ne plus avoir à aller chercher le souvenir, l’application s’en charge et se charge aussi de la conservation de celui-ci, l’offrant ainsi à l’utilisateur de son plein libre-arbitre.
« Ah j’utilise beaucoup les memories Snapchat aussi, tu sais
Chaque année tu as des trucs "il y a un an, deux ou trois. .. » et ça me permet de
passer cinq minutes à regarder des images et des souvenirs que tu avais parfois
même oublié. ».
Lorena Ducoureau - Extrait d’interview (intégralité en annexe).
En effet, les réseaux sociaux offrent depuis 2016 une nouvelle capacité de stockage pour pallier la suppression des données par mégarde ou sur coup de tête. Chacune de ces options ont un nom différent et quelques détails qui viennent la rendre singulière mais le principe reste le même. Snapchat crée memories, une section qui, si enregistrée, la photographie/vidéo est donc stockée et sauvegardée pour être regardée à nouveau dès que souhaité. Instagram crée une section archives reprenant le même système, si ce n’est qu’une story générale n’a pas besoin d’être sauvegardée manuellement pour être enregistrée. Chacun des deux possède aussi une fonctionnalité : permettre de revoir le souvenir sans même orchestrer cette demande. En ce sens, il est envisageable de littéralement parler de changement de paradigme. Il faut noter que jusqu'à lors l’utilisateur venait rechercher un souvenir. Aujourd’hui, les métadonnées sont récupérées, triées, classées et regroupées afin de permettre aux intelligences artificielles de créer des souvenirs. Apple, Facebook, Google offrent aujourd’hui une nouvelle manière de faire renaître le souvenir. Facebook a créé en 2015 une nouvelle fonctionnalité, avec notifications à rythmes réguliers appelés « ce jours-là ». Cette fonctionnalité permet de recevoir des notifications de Facebook automatiques relançant une image prise des années auparavant. Google, lui, lance « redécouvrir ce jour » et Apple avec IOS lance en 2016 « souvenirs », une intelligence artificielle qui vient scanner la galerie photo et vidéo du propriétaire du téléphone pour créer un montage automatique des petits clips vidéos des meilleurs moments.
« Comme je ne partage que des photos de vacances, j’avoue que ce n’est pas désagréable, j'ouvre Facebook au réveil et paf, je vois un magnifique glacier où j’étais deux ans plus tôt… ». Mais encore « Avec toute la masse de photos que le numérique nous a poussés à prendre et accumuler, c’est presque la moindre des choses qu’on nous donne un moyen d’y voir clair et de retenir les meilleurs moments »
Annabelle Laurent, Facebook, Apple, Google: Mais qu’ont-ils tous avec nos souvenirs? , article journal 20 minutes, 17 juin 2016.
Aujourd’hui face à la masse continue de clichés, ce type d’intelligences permet de venir re-trier et épurer des souvenirs parfois pris en rafale et trop lourds.
Dernier en date, le groupe Meta (Facebook, Instagram…) a lancé une nouvelle fonction nommée year in review. L’objectif pour l’application est de compiler les souvenirs accumulés par les utilisateurs sur les plateformes en proposant ensuite une rétrospective mois par mois de l’année passée. Les rétrospectives sont découpées en sections (lieux, amis, autres…) prenant la forme d’une carte interactive pour chacun, et partageable à son entourage ou sur le réseau lui-même- à tout le monde.
Mais ce nouveau type de dispositifs à souvenirs visuels comporte tout de même des failles. En effet, Facebook et d’autres ont dû mettre en place des algorithmes pour éviter à certains utilisateurs de recevoir des photographies de proches décédés ou d'événements offensants. Aussi intervient le problème de la vie privée et de la protection des données.
« c’est une effraction imposée par défaut en niant notre libre-arbitre. »
Vanessa Lalo, psychologue en médias numériques, jeux vidéo et leurs impacts.
Déjà en circulation quasi libre, les données sont ré-utilisées par des algorithmes et IA en tout genre. Certains réseaux ou médias proposent de protéger certaines données et semblent offrir un choix face à leur utilisation ou non mais, il faut le signifier, au XXIe siècle, l’utilisateur laisse derrière lui d'innombrables traces de son passage de part les données qu’il rejette derrière lui. À partir d’ici on peut constater deux écoles, certains n’y voient pas d’inconvénients, d’autres sont dérangés par le fait qu’une donnée par exemple postée sur facebook ne disparaît pas vraiment et reste quelque part stockée. Cette problématique pose question sur la notion de confidentialité et celle de vie privée qui semble aujourd'hui plus subtile.
Home movie réalisé durant l'été 2022 contenant des vidéos réalisées avec un vieux camescope de famille.
Ci dessous deux captures d'écran instagram des différentes pages d'archives pour concentrer les stories prises au cours des mois/années précédents.