Les hommes entretiennent des rapports très différents aux émotions. En effet dès son plus jeune âge on apprendra à une petite fille qu’elle peut pleurer et dire ce qu’elle ressent. Alors qu’on interdira à un petit garçon de pleurer et de dire ses émotions car ça fait « trop fille » et pas assez masculin. Au début d’une relation cette dualité peut s’estomper, les deux amoureux partagent alors leurs émotions. Mais les habitudes masculines reviennent vite et l’homme rejette à nouveau le fait de dire ce qu’il ressent. Le couple s’installe alors dans une routine où la femme est en demande de communication et d’expression des sentiments et l’homme en retenue.
Extraits de Réinventer l’amour de Mona Chollet.
« Il faut s'arrêter sur ce rapport différent aux émotions et à l'intimité que développent souvent les hommes et les femmes l'attestent - de nombreuses recherches psychologiques et sociologiques
-, et sur le mystère qu'il représente. Au cours d’une enquête menée au Royaume-Uni dans les années 1990, Wendy Langford s'est entretenue de manière approfondie avec une quinzaine de femmes hétérosexuelles (issues de la classe ouvrière ou de la classe moyenne) au sujet de leur vie amoureuse f. Elle s’est aperçue que le parcours de beaucoup d'entre elles suivait le même
schéma. La rencontre, le fait de tomber amoureux sont vécus par les deux partenaires comme une « révolution ». Sous l'effet du coup de foudre, chacun semble s'affranchir des limitations imposées par son conditionnement de genre : les femmes se montrent audacieuses, indépendantes, sûres d'elles, capables de déplacer des montagnes, tandis que les hommes n’ont pas peur de s’ouvrir, de se montrer à nu et de parler de leurs sentiments -« Il n'est pas comme les autres hommes », s'émerveillent alors leurs compagnes. Toutefois, même si les amoureux connaissent durant cette période un bonheur intense et des évolutions personnelles spectaculaires, bien souvent, la félicité éternelle à laquelle ils s'étaient crus promis n'advient pas. Le miracle se révèle terriblement fragile. La femme s'est senti pousser des ailes, elle a eu l'impression de n'avoir besoin de personne, de pouvoir tout faire toute seule, mais elle devait ce
sentiment, paradoxalement, au regard valorisant qu'un homme posait sur elle. Admiratif de sa personnalité intrépide, cet homme s'aperçoit bientôt qu'elle a néanmoins des demandes affectives à son égard. Effrayé, il se ferme alors complètement. Le conditionnement de genre dont tous deux s'étaient délivrés au cours de cette parenthèse enchantée leur retombe lourdement sur les épaules. A la « révolution » de l'amour, avec sa grande « libération d’énergies réprimées », succède une « contre-révolution». Quand le couple n'éclate pas, il s'installe dans une routine où
le partage et la communication sont absents. La femme, ne voulant pas renoncer au bonheur qu'elle a connu, s'obstine à réclamer à l'homme l'intimité qu'il lui a accordée au début : « Je sais qu'il y a en lui un homme plus profond, plus aimant », se désespère par exemple Kate. Mais, plus elle insiste, plus il panique et se barricade dans sa forteresse. Cet homme mutique n'est pas l’homme comportement orageux que nous avons vu au chapitre précédent (même s'il peut dans certains cas finir par se montrer violent, lui aussi), mais il n'en cause pas moins une grande souffrance. À travers son retrait et son silence, il exerce un pouvoir redoutable. Déstabilisée, sa compagne se remet en question. Elle cherche à rectifier sa personnalité de manière à obtenir à nouveau l’approbation qui l'a rendue si heureuse. Elle s'« auto-objectifie », comme l'écrit Wendy Langford, c'est-à-dire qu'elle tente de se voir de l'extérieur, de son point de vue à lui, pour comprendre ce qu’elle fait de faux. Ses insécurités, que la rencontre amoureuse avait fait taire, sont réactivées et même renforcées. Paradoxalement, dans l'espoir de retrouver la précieuse reconnaissance de son individualité que cet homme lui avait offerte, elle contrefait et renie
son individualité. Elle en vient à taire les sentiments ou les désirs dont elle craint qu'ils déplaisent à son compagnon. Elle se « réduit elle-même au silence ». Elle s'épuise aussi à déchiffrer son attitude à lui, à interpréter le moindre signe qu'il lui donne, à tenter de comprendre ses dispositions; elle en discute parfois pendant des heures avec son entourage (en général féminin). Elle se perd en conjectures, jusqu'à l'oubli d’elle-même. Pour tenter de contrebalancer la tristesse et la frustration profondes que cette situation lui cause - certaines tombent en dépression -, elle trouve refuge dans le maternage : elle prend en charge la logistique du foyer, le soin des enfants quand il y en a, le budget, l'organisation du quotidien, des loisirs, des vacances... Face a Wendy Langford, certaines affichent un plaisir revanchard, teinté d'amertume, à se sentir ainsi compétentes, adultes. »
« Les garçons apprennent à se définir par opposition à tout ce qui est féminin. Ils apprennent qu'être un homme, c'est dissimuler ses émotions et mimer l'indépendance, l'indifférence, le détachement. Les filles, elles, sont confrontées à un dilemme impossible à résoudre : soit elles expriment leurs pensées et deviennent par la « infréquentables », soit elles contrefont leur personnalité pour être acceptées et s'insérer socialement. La société les oblige à choisir entre « avoir une voix et avoir des relations ». En définitive, c on finit par associer la féminité au pseudo-relationnel (se passer soi-même sous silence) et la masculinité à la pseudo-indépendance (se prémunir contre tout désir relationnel et toute sensibilité) ». Cela nous permet de comprendre, au passage, pourquoi le détachement est une attitude aussi valorisée dans les relations sexuelles
et amoureuses contemporaines : « On considère le détachement comme une preuve de maturité précisément parce qu'il reflète cet idéal de la pseudo-indépendance masculine, synonyme d'une
existence pleinement humaine selon les codes du patriarcat. »
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Ce site a été créé sur la base de Réinventé l'amour de Mona Chollet et du podcast Le cœur sur la table. Les textes et les images sont de Juliette Guédon. Les textes en italique sont des sitations.