Vibrations d'ici et d'ailleurs
Johan Papaconstantino c’est un OVNI la scène musicale française. Avec une musique inspirée du rebétiko – une forme de musique populaire en Grèce apparue dans les année 20 – une manière de chanter à la fois nonchalante et poétique accompagnée de productions musicales expérimentales inégalables, on se rapidement laisse rapidement charmer dès la première écoute de J’sais pas courant 2017, peu de temps après l’avoir découvert sur scène à ses débuts avec son ancien collectif : La Tendre Emeute. Intriguant, détonant, le nombre de qualificatifs qu’on peut lui donner est aussi conséquent que varié tant sa musique est intéressante.

En effet, « Contre-jour » est un recueil mêlant des morceaux riches aux sonorités grecques voire orientales sur lesquels il se la joue poète des temps modernes, souvent romantique et mélancolique, le tout avec une utilisation réfléchie de l’autotune, outil bien souvent mal exploité, et accompagné de son synthé. En ressort une musique insolite et nuancée, une musique qui nous fait autant danser que planer ! Un joli mélange entre sa génération et l’héritage de son père, grec, qui l’a bercé au rebétiko dont l’instrument phare est le bouzouki que Johan joue à la perfection notamment dans Pourquoi tu cries ?

En soit, Johan Papaconstantino est un autodidacte et un artiste à part entière – il est également passionné de peinture – un touche-à-tout qui écrit des textes sans prétention en s’inspirant des ses propres états d’âmes.

Crédit: Bastien Stisi/ Mathieu Belchit

Johan papaconstantino

Le bouzouki en bandoulière, l’autotune aux lèvres

La gémellologie est formelle. Il y a dix fois plus de jumeaux qui naissent parmi les Yorubas que dans n’importe quel autre peuple au monde. Personne ne sait pourquoi. La consommation effrénée de patates douces? La génétique? Ou alors, le fait que les jumeaux sont là-bas vénérés comme des dieux vivants, exposés dans les marchés et qu’ils apparaissent souvent sous la forme de statuettes écartelées, aux tempéraments antagonistes: Ibeyi, l’esprit des paires dépareillées. Lisa-Kaindé et Naomi Díaz ne sont pas seulement les petites révélations electro-pop, brutalement inventives, d’une culture globalisée qui doit beaucoup à ce peuple étalé sur trois pays au moins (Nigeria, Bénin, Togo). Elles constituent le dernier maillon, urbain et cosmopolite, d’une chaîne glorieuse qui a vu une religion africaine conquérir le monde.

Elles ont 20 ans. Belles et héroïques, chacune à leur manière. Elles s’engueulent à tout bout de champ et se complètent sans se concerter. Il y a quelques mois, le duo Ibeyi a publié son premier album, une croisade pacifique de rythmes syncopés, de compression digitale et de voix en dentelles.

Elles sont nées un peu partout, à Paris peut-être, à Cuba sûrement, dans les tambours mystiques de leur père surtout. L’un des plus brillants percussionnistes de son temps, Anga Díaz, né à l’Ouest de La Havane et décédé très jeune en 2006. Elles avaient 11 ans.

«Notre duo nous a permis de survivre», dit Lisa, l’air d’être toujours connectée à des fantômes bateleurs.

On le voit bien chez « Ibeyi », ces mutines des dancefloors, les rythmes yorubas charrient davantage qu’une pulsation. Une vision du monde. Même dans les contextes les plus triviaux, même codés par les boîtes à rythmes, ils demeurent sacrés. La clave cubaine. La syncope jazz. Le chaos impérieux des carnavals de Salvador de Bahia. Le long étourdissement de la soul africaine, celle de Fela et de ses successeurs, où la cloche répond à la caisse claire qui répond elle-même au frottement des graines sur la calebasse: tout s’articule dans un ordre cosmogonique qui fait de la partie la réponse au tout. Lisa et Naomi, les jumelles d’Ibeyi, sont nées de ces rythmes.

Crédit: Arnaud Robert

Ibeyi
Les âmes soeurs yoruba
C’est l’histoire d’un destin improbable, celui d’une nouvelle venue sur la scène hip-hop suisse, Priya Ragu. Durant son enfance passée auprès de parents Sri-lankais dans la ville suisse de Saing-Gall, Priya chantait en cachette des chansons pop occidentales quand sa famille écoutait de la musique Tamil dans le salon. Incitée à suivre une voie dite normale, elle se retrouva dans le monde de la comptabilité, avant de trouver la formule magique qui lui permettrait d’échapper à cette routine préprogrammée. Grâce à une persévérance hors normes mais également avec l’aide de son frère producteur Japhna Gold, Priya sortit son premier single Good Love 2.0 à l’été 2020. Il n’en fallait pas plus pour lancer sa carrière et signer auprès de Warner Music.

Si ce parcours semble rapide, c’est bien qu’il l’est. Dans son premier album/mixtape récemment sorti « Damnshestamil », Priya puise dans son héritage tamil, mêlant styles sri-lankais traditionnels et tropes R&B et hip-hop plus modernes. Sur les 10 pistes de cet album, elle ne se contente pas d’infuser de lyrics tamil ses morceaux pop chantés en anglais, mais colore l’ensemble de sa musique des styles traditionnels de sa culture sri-lankaise. Certaines chansons telles que Chicken Lemon Rice et Kamali évoquent son éducation traditionnelle sur des rythmes rapides et évocateurs de tabla. Lighthouse prend tout son éclat grâce à l’apport d’une flûte aux accents orientaux et Santhosam (qui signifie « Joie ») est chanté exclusivement en Tamil, avec un arrangement uniquement composé d’instruments traditionnels.

Un an seulement après avoir refermé pour de bon les livres de comptabilité, on peut sans cliché parler d’ascension fulgurante – et méritée. Les femmes d’origine asiatique sont rares sur la scène mainstream actuelle. Avec une apparition sur le dernier album de Jungle, on ne prendra pas de risques en disant que tous les voyants sont au vert pour que Priya Ragu soit de plus en plus visible au sommet du monde R&B à l’avenir .

Crédit:Swisslife/Lestransfestival

Priya Ragu
L'étoile du Bengale
Tallisker est un projet musical piloté par la violoncelliste, chanteuse et productrice de musique électronique Eléonore Mélisande, originaire de Rouen, vivant entre Londres et Paris. Moderne, hyperactive, nomade, Tallisker intrigue et déconcerte par ses choix artistiques tenaces et visionnaires. En témoigne entre autres son remix de Gole Yakh, un tube iranien des années 70 - qui devient viral en Iran.

Avec « Blind » (2018), qui atteint 2 millions de streams en quelques semaines puis « Somewhere » (2019/2020) qui enflamme les charts d’Europe de l’Est, Tallisker affirme haut et fort ses ambitions de pop internationale.

Un songwriting élégant, où la tension entre indie et mainstream est délibérément entretenue.

Mais la française n’oublie pas ses racines et s’apprête à affirmer sa place dans l’Hexagone avec son premier album « Contrepoints » (sortie en février 2022), enregistré entre Paris, Téhéran et NYC.

Dans cette optique que la chanteuse et compositrice est partie à la découverte de la jeunesse iranienne et des traditions musicales perses. « Azadi » – qui se traduit par « liberté » en perse –, est le fruit de son voyage au pays des mollahs en 2018, une recherche de sonorités traditionnelles, qu’elle souhaitait associer à des dynamiques urbaines et classiques issues du monde occidental.

Crédit:Michel Angelo Fedida/Les Oreilles Curieuses

Tallisker
Sans frontières
Peu connue jusqu'ici hors d'Espagne, Rosalia est en revanche déjà une star dans son pays où elle a conquis le public grâce à sa maîtrise du flamenco qu'elle a étudié pendant sept ans à Barcelone. Sans origine gitane, Rosalia, née en Catalogne (nord-est), loin du berceau andalou du flamenco, n'a découvert ce genre qu'à l'adolescence, en écoutant Camaron de la Isla avec ses amis dans les parcs de son village. Mélange détonant de flamenco, trap, électro et RnB, son deuxième album « El Mal Querer » est sorti en novembre et raconte au long de ses 11 titres l'histoire d'une relation amoureuse toxique. Le succès a été fulgurant.

En une journée, ses chansons ont accumulé plus de 2,3 millions d'écoutes sur Spotify et le clip de "Malamente", qui alterne "palmas" (claquement des mains typique du flamenco) et mise en scène rappelant une corrida avec la chanteuse lancée sur une moto chargeant un jeune homme, compte près de 33 millions de vues sur YouTube.

Dans son approche décomplexée, Rosalía injecte au flamenco tous les attributs de la jeunesse et de la modernité. Il fallait oser exploser les contours et les coutures de ce genre musical ancestral traditionnel très codifié. Rosalia n'a pas manqué d'ailleurs de s'attirer les critiques des puristes en expérimentant librement avec des synthétiseurs et des boîtes à rythmes Roland 808. Mais elle conserve les claquements de mains caractéristiques (les palmas) et la charge émotionnelle du chant, essentiels au flamenco.

"J'ai appris la tradition. J'ai appris toutes les règles", souligne-t-elle dans Rolling Stone. "Mais je dois être transparente avec la façon dont je comprends le flamenco ici et maintenant, avec qui je suis, avec mes références, mon âge et l'époque dans laquelle je vis."

Crédit:Michel Laure Narlian/Zoé Sfez/AFP

Rosalia
Explose les coutures du Flamenco
On ne sait que très peu de choses sur ¿Teo?, si ce n’est que son pseudo est difficile à orthographier sur un clavier français. De son vrai nom Mateo Arias, ce new-yorkais d’origine colombienne propose un rap souvent bilingue et aux influences latines sur son premier album éponyme. On y retrouve d’ailleurs ses potes Willow et Jaden Smith (les enfants de Will), avec qui il a créé le collectif MSFTSrep.

Mateo Arias alias "Téo" fait ses premiers pas devant la caméra en compagnie de son petit frère Moises Arias ( plus connu sous Rico dans la série Disney "Hannah Montana").

Cependant c'est à travers sa musique qu'il exprime l'admiration pour sa culture. Avec sa voix hypnotisante, Téo nous prends par la main pour un voyage sous les palmiers en Amérique Latine par un savant mélange de Bossa Nova et de Hip Hop. Alternatif, on le qualifie de " Neo-Américain" emportant avec lui un héritage mystique que l'on peut découvrir dans son dernier album « Sol » en 2021; un artiste plein de promesse qui, on l'espère, traversera l'Atlantique.

Crédit:Bianca Brown

¿Téo?
Bossa nova sous les palmiers
Nubya Garcia est une saxophoniste de 29 ans de père trinitéen et de mère ghanéenne née à Camden Town, à Londres. Avec un beau-père qui joue des cuivres et une mère fan de reggae, de soul, de latino, elle est environnée de musique tout le temps. Dès ses 5 ans, elle suit ses grands frères chaque samedi faire de la musique au centre local. Elle étudie d’abord le violon puis l’alto. A 10 ans, c’est le saxophone qui l’appelle. Elle ne le quitte plus. Aujourd’hui, Nubya Garcia, explosive, tendre, lyrique, enthousiaste, est une des figures marquantes de la nouvelle scène jazz de Londres, avec Makaya McCraven, Theon Cross, Moses Boyd, Zara McFarlane, Shabaka Hutchings et ses Sons of Kemet. Elle collabore d’ailleurs souvent avec eux.

Cette prodige a bien su avoir son morceau de terre pour y dresser son drapeau et devenir un point d’ancrage majeur dans le jazz contomporain britanique. En se libérant des conventions artistiques classiques, Nubya a su faire cohabiter l’art et l’identité; un mélange qui se transforme en une pâte sonore riche et onctueuse. Contemplation, le 4emme titre de l’album « Nubya’s 5ive » est sans doute la clairvoyance nécessaire pour reconnaître son génie.

En collaboration avec une nouvelle maison de production, Brownswood Recordings, la précoce du Jazz britanique bat le fer lorsqu’il est chaud en participant à un projet portant le nom de “We Are Out” comportant 9 titres de différentes cultures Jazz britanique modernes. C’est avec son titre “Once” que Nubya approuve son ancrage, non seulement sur la scene Jazz Britanique, mais aussi dans la l’approbation d’un d’un concept tellement rejeté par les ancètres du jazz: le Jazz Underground, mais qu’on ne peut désormais plus sous-estimer.

Crédit:Les Oreilles Curieuses/Jean-Claude Vantroyen

Nubya Garcia
Une étoile à la lumière jazz
Si elle vit aujourd’hui à Los Angeles, c’est à Cincinatti dans l’Ohio qu’a grandi Sudan Archives. Britanny Denise Parks (c’est son vrai nom) est autodidacte. Elle apprend le violon à l’oreille, et en fait son instrument de prédilection.

Musicienne et productrice, elle travaille le son comme une matière, en créant des beats et des boucles aux couleurs hip hop, r’n’b, jazz et électro et c’est en explorant ses racines africaines, qu’elle découvre les violonistes soudanais et la musique d’Afrique de l’ouest. Une musique qui immédiatement résonne en elle, lui ouvrant de nouvelles perspectives. Une musique que la jeune femme va s’approprier, en la mêlant avec sa culture américaine pour un résultat totalement innovant et fascinant. Sudan Archives est née. C’est ainsi que sort en juillet 2017 sur l’exigeant et prestigieux label Stones Throw : « Sudan Archives » son premier EP. Il compte 6 titres, entre tradition et modernité, qui ne ressemblent à rien d’autre.

Avec ce premier EP, Sudan Archives démontre tout son potentiel artistique, proposant un éventail de sonorités tout à fait exceptionnel, où son jeu de violon étonnant et sa voix magique sont magnifiés par des textures musicales d’une incroyable richesse. Et chose surprenante, la musique de Sudan Archives bien que très élaborée, est étonnamment immédiate, vibrante et physique.

Crédit:Les Oreilles Curieuses

Sudan Archives
Déesse des savanes
Son chant envoûtant lui vaut déjà des comparaisons avec Leonard Cohen et Jeff Buckley. Tamino n’est ni l’un ni l’autre : c’est un jeune Belge de Flandres dont les chansons sombres intègrent avec goût son héritage musical égyptien. Le nectar désigné pour les amateurs de pop raffinée. Tamino a choisi la musique à l’adolescence. Avant, dit-il, il songeait plutôt au théâtre. Sa volte-face n’est pas si étonnante : sa mère était mélomane et son grand-père paternel, Moharram Fouad, était un populaire chanteur et acteur égyptien. Ce n’est toutefois que lors de ses études en musique, à Amsterdam, qu’il découvre vraiment son instrument de prédilection : sa voix.

« Amir », premier album de Tamino nous invite à ce genre de voyage. Ballade devenue bien rare, il est vrai, dans le monde des indies où les singularités font de plus en plus défaut.

Qu’elles soient nocturnes et minimalistes comme Habibi, enveloppées de violons arabes comme So It Goes et Sun May Shine ou d’oud et de percussions orientales comme Each Time, ses chansons se construisent toutes autour de son chant qui s’étend, semble-t-il, sur quatre octaves et dont le lyrisme évoque parfois Rufus Wainwright. Une musique en nappes sobres qui suggèrent une atmosphère plus qu’elle n’en impose, matinée d’envolées orientales, le tout porté par une voix qui trouve à chaque fois l’émotion juste entre la retenue et le lâcher prise.

La voix de Tamino vole alors comme pour aller à la rencontre d’un absolu...

Crédit:Florian Ques

Tamino
L'enchanteur du Nil
Basé à Amsterdam, Altin Gun se compose de Jasper Verhulst, Ben Rider (guitare), Nic Mauskovic (batterie), Merve Dasdemir (chant), Erdinc Yildiz Ecevit (saz, une sorte de luth traditionnel anatolien) et de Gino Groeneveld (percussions). Direction les années 70 au bord des rives du Bosphore. La Turquie est alors en train de changer, de se moderniser, de sortir d’un passé auto-centré pour s’ouvrir petit à petit sur le reste du monde. Une jeune génération est en train de chambouler les codes, de ne pas forcement s’occidentaliser à tout prix mais de devenir ce pays d’entre deux continents, d’entre deux civilisations. Cette jeune génération est représentée par des chanteurs et des musiciens tels que Barış Manço, Erkin Koray, Selda Bagčan ou encore Neset Ertas, qui vont véritablement introduire le rock en Turquie, lui donner un nom celui de Rock Anatolien, un rock, reprenant les classiques de la musique populaire et leur donner une seconde vie. C’est l’âge d’or de la musique turque, et c’est à cet âge d’or, littéralement puisque c’est sa traduction en turc, qu’Altin Gün rend hommage aujourd’hui et que l'on retrouve dans l'album « On » sortit en 2018. Faire revivre le passé dans le présent en créant une musique du futur, une musique psychédélique qui parle aussi bien aux danseurs d’aujourd’hui qu’aux fantômes du passé, une musique qu’Altin Gün arrive à prolonger sans jamais la trahir, et c’est tant mieux car elle garde ce coté magique, mystérieux, émouvant et orgasmique à la fois.

Crédit:Ruddy Aboab

Altin Gun

Rock du Bosphore

Illustrations:Sarah Genna