Les féminicides sont malheureusement encore monnaie courante. Mais ce crime horrible commis envers sa propre femme ou ex femme est encore considéré aujourd’hui comme un crime passionnel. C’est l’amour extrême et passionné qui pousse au meurtre. Et ce soit disant amour pardonne le geste, le geste de tuer. Les violences envers les femmes sont encore trop courantes et vues comme quelque chose de banal, à régler au sein du couple. Les femmes ont du mal à s’extirper de ces relations toxiques et dévastatrices car la société les laisse tomber. Pour la société l’amour romantique tue, et c’est ce que véhicule un grand nombre d’oeuvres littéraires ou cinématographiques. Cette banalisation de la violence conjugale ne devrait pas exister, c’est le couple sain et non torturé qui devrait être mis en avant. Et beaucoup vont malgré eux durant leur vie avoir des comportements violents ou vont se comporter comme des harceleurs car la société patriarcale banalise et rend normal ce genre de comportement. Cette perception normalisée de la violence et de la domination des hommes sur les femmes rend tous les endroits pour une femme dangereux, de l’espace public à l’espace privé au sein de son couple.
Extraits de Réinventer l’amour de Mona Chollet. « Mais surtout, il est assez hypocrite de s'indigner du comportement des victimes de violences conjugales ou des groupies de tueurs quand notre culture ne cesse de présenter le mal qu'un homme peut faire à une femme comme une preuve d'amour; quand notre vision de l'amour est imprégnée d'une culture de mort. C'est l’un des effets de notre goût pour la passion tragique et impossible analysé par Denis de Rougemont : il fournit une couverture à la violence misogyne, il permet de la légitimer, comme on fait passer une marchandise en douce. Le terme « crime passionnel » commence tout juste à refluer dans la presse, grâce au combat des féministes pour imposer le mot « féminicide ». Il s'agit d’ailleurs d'une catégorie journalistique et en aucun cas juridique. Elle a construit et installé la notion de « crime passionnel » tout au long du xix° siècle. Cela permettait de nier la dangerosité de la famille pour les femmes, à une époque où se déployait justement la propagande autour des douceurs du foyer. Qu'on lui accorde une valeur positive ou négative, la « passion », expliquent les autrices, est perçue comme une force contre laquelle on ne peut rien, ce qui invite à considérer ce type de crimes comme une fatalité. Le travestissement de la violence en témoignage d'amour par les journalistes prend parfois un tour caricatural : évoquant une affaire dans laquelle un homme a tué sa femme parce que le divorce devenait inéluctable, puis s'est suicidé, un rédacteur souligne que le meurtre a eu lieu « à onze jours de la Saint-Valentin » et à deux pas d’une boutique qui « affiche en vitrine sur des cœurs de baudruche rouge "Je t'aime fort comme ça" ». En outre, un meurtre suivi d'un suicide est traité comme s'il s'agissait d'un suicide à deux. » « Un crime. Comme il en existe des dizaines en France chaque année. Et le fait que les protagonistes du drame soient des artistes célèbres n'y change rien. [...] Pas de brevet d'amour pour les cogneurs. L'amour transcende et bouleverse la vie. L’amour peut parfois briser les cours, mais pas les corps. L'amour reste ce que nous avons de meilleur à proposer. Pas le pire.» « En plus d'anoblir la violence contre les femmes au nom de l’amour, cette culture de la domination promeut la figure de l'artiste ou de l'auteur masculin comme un génie auquel on doit une révérence absolue, et chez qui le processus de création justifie les pires agissements à l'égard de ses proches, mais aussi de toutes les anonymes qui passent à sa portée. » « Pour que ni les «couples de légende» ni les couples anonymes des prochaines décennies ne perpétuent la même farandole sinistre, peut-être devrions-nous suivre les préconisations de bell hooks : ne pas penser à l'amour comme à un simple sentiment qui autorise toutes sortes de comportements, mais comme à un ensemble d’actes. Être amoureux n’est pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état; aimer, un acte. A la passion, dans laquelle l'autre n'est qu'un prétexte, une illusion, le philosophe suisse opposait un amour qui accepte l'autre tel qu'il est et travaille pour son bien. Cependant, cela implique de casser le mécanisme qui se met en place très tôt, quand des parents qui maltraitent leurs entants physiquement et/ou psychologiquement leur enseignent la coexistence de l'amour et de la violence, ou la violence comme expression de l’amour. »

Ce site a été créé sur la base de Réinventé l'amour de Mona Chollet et du podcast Le cœur sur la table. Les textes et les images sont de Juliette Guédon. Les textes en italique sont des sitations.